les amoureaux
Je suis à la Gare du Nord. En face de ce kiosk de presse qui semble toujours ne pas avoir d’entrée. Seulement des murs sans porte. Avec des affichages. Et des femmes blanches qui les regardent, tenant ses gros sacs à main sur le bras. Sans sourire. En faisant semblant qu’elles n’ont même pas besoin d’hommes.
Il y a moi qui lis Herman Hesse. Et il y a deux amoureux moches qui sont des amoureux quand même. La femme est assise à côté de moi, l’homme est en face d’elle. Au début, il n’est pas clair si les deux amoureux viennent de se connaître ou s’ils en ont déjà marre d’eux. En fait, il ne s’agit pas de deux amoureux. Mais d’une amoureuse et d’un homme. C’est toujours le cas. La femme amoureuse et l’homme qui la laisse aimer.
La femme lui pose trop de questions. Il est fâché. Ou bourré. Il en a marre de cette petite femme polonaise, ou portugaise, qui profite bien de ce pays qui ne lui appartient pas.
Il est laconique. Elle sourit sans sourire. Elle cache ses larmes depuis longtemps. Elle sait bien qu’il n’y a pas de solution. Qu’elle le dégoûte. Qu’elle est trop mince, trop dépendante de lui. Que lui, il l’aime sans efforts. Il l’aime comme s’il donnait de la nourriture à son chien. Comme s’il regardait une chaîne de télé dans une langue qu’il ne connaît pas. Il l’aime comme les hommes aiment. Avec de la peur.
Elle reconnais son ridicule et elle baisse la tête. Elle s’aperçoit que moi, je lis Herman Hesse et que je ne fais pas attention à elle. À son échec. Au fait qu’elle ne peut même pas être aimée en France. Ou trouver du vrai boulot. Ou raconter des histoires heureuses à sa famille sans beaucoup mentir, ou ne pas trop dire.
Il lui demande « quoi faire. »
« Quoi faire. »
Il suggère aller chez lui et boire une bière, ou regarder un film.
Il n’en a pas l’envie. Mais il faut le dire. Il faut dire n’importe quoi aux femmes pour qu’elles se taisent. Pour qu’elles deviennent moins maternelles. Sans trop les lacérer.
Il ne manque pas de respect.
Il n’est pas honnête. Et à cause de ça il remet sa disgrâce et l’augmente.
Juste avant que la porte du métro se ferme, la femme sort du train sans hésiter.
Elle en avait marre d’avoir besoin. Elle-même était surprise de partir. En laissant tomber en sachant qu’elle ne pourrait pas le reprendre. En faisant de son histoire d’amour un gros sac d’argent oublié sous un siège de métro, comme une bombe.
Je me demande s’ils vont s’appeler. Si elle va le faire s’il ne le fait pas. L’idiote polonaise. Je me demande s’il péte le matin comme il a l’air de faire. Et s’il mange de la pizza avec les mains en parlent au téléphone et en regardant la télé. S’il n’utilise pas de fil dentaire. Si sa grotesquerie lui plaisait à elle et pourquoi. C’est absurde.